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Défense des enfants international
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La détention avant jugement des mineurs de moins de 15 ans est absolument illégale en Suisse1

Nicolas Queloz, Professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Fribourg2

  
[ Bulletin DEI, septembre 2011 Vol 17 No 3 p.I-II ]




La détention avant jugement des mineurs de moins de 15 ans est absolument illégale en Suisse1

Nicolas Queloz, Professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Fribourg2

I. Introduction
L’exemple suivant est assez courant: Julien (14 ans), Bruno (14 ans et demi), Alex (15 ans), Fred (15 ans) et Kevin (16 ans) ont été appréhendés en flagrant délit de cambriolage dans la buvette d’un centre sportif. Soupçonnés d’avoir participé à une vague de cambriolages qui a eu lieu dans la région au cours des 3 derniers mois, ils ont tous été placés en détention provisoire par le juge des mineurs ou par le Jugendanwalt.

Les questions qui se posent sont les suivantes:
a) Quelles sont les conditions légales de la mise en détention provisoire de personnes mineures ?
b) Julien et Bruno, qui n’ont pas encore 15 ans, peuvent-ils être placés en détention avant jugement?


II. Droit applicable
1. Selon le droit en vigueur jusqu’à fin 2010
La base légale pour la détention avant jugement était l’art. 6 de la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (DPMin). Selon cette disposition, la détention avant jugement était – et reste toujours – soumise à des conditions très restrictives et doit constituer une ultima ratio. Il faut avoir épuisé les possibilités quant aux mesures préventives (principe d’éducation et de protection) et autres mesures moins incisives (principe de proportionnalité), comme par exemple la confiscation de pièces d’identité.

Quant aux autres conditions de légalité de la décision de placement en détention avant jugement, elles étaient fixées jusqu’à fin 2010 par les lois de procédure cantonales. Nous les résumons ci-dessous sous l’angle du droit en vigueur depuis le 1.1.2011.

En ce qui concerne les modalités d’exécution, deux aspects essentiels ressortent du libellé de l’ancien art. 6 DPMin: les détenus mineurs doivent être séparés des détenus adultes et leur prise en charge (éducative et curative) doit être appropriée. Le Tribunal fédéral a judicieusement souligné3 que ces conditions s’imposaient impérativement dès le 1.1.2007 (entrée en vigueur du DPMin) et ne devaient pas souffrir du délai d’attente (10 ans) laissé aux cantons pour créer les établissements nécessaires (art. 48 DPMin).


2. Selon le droit en vigueur depuis 2011
Dans la loi fédérale sur la procédure pénale applicable aux mineurs (PPMin), qui est entrée en vigueur le 1.1.2011, la détention avant jugement est réglée aux art. 27 et 28.4

L’art. 27 PPMin régit les conditions d’un placement en détention avant jugement. Le législateur rappelle la subsidiarité de la détention avant jugement (provisoire ou pour des motifs de sûreté), qui ne peut être prononcée «qu’à titre exceptionnel» (al. 1). La durée d’une détention provisoire est en principe limitée à sept jours. Une prolongation au-delà de cette durée n’est possible qu’avec l’accord du tribunal des mesures de contrainte (al. 2). Ce dernier «peut prolonger la détention provisoire plusieurs fois, mais pour un mois au plus à chaque fois» (al. 3).

L’art. 28 al. 1 PPMin règle l’exécution de la détention avant jugement. Il reprend la réglementation de l’ancien art. 6 DPMin, notamment quant à la séparation entre détenus mineurs et détenus adultes et quant à la prise en charge appropriée.

En ce qui concerne les autres conditions de légalité de la détention avant jugement, l’art. 26 PPMin renvoie aux conditions relatives au prononcé des mesures de contraintes qui sont fixées dans le CPP (art. 196 ss). Les conditions de base classiques d’une décision de mise en détention avant jugement, aussi bien pour les adultes que pour les mineurs, sont mentionnées à l’art. 221 CPP à savoir, d’une part, que l’auteur doit être «fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit» et, d’autre part, qu’il existe de sérieux risques de fuite, de collusion, de destruction de preuves ou encore de récidive.


3. Application à notre exemple
Outre les conditions rappelées ci-dessus, ni l’art. 6 DPMin sous l’ancien droit, ni les art. 27 et 28 PPMin aujourd’hui, ne fixent de seuil d’âge minimal auquel peut être prononcée la détention avant jugement des mineurs. Force est de constater que tant sous l’ancien que sous le nouveau droit, le Parlement fédéral n’a malheureusement pas légiféré sur cette importante question de limite d’âge.


III. Analyse systématique
Pour répondre aux questions posées en introduction, il est dès lors utile de recourir à une analyse systématique d’autres dispositions pour déterminer la validité de la détention avant jugement de mineurs, en particulier de ceux qui sont âgés de moins de 15 ans.

1. Art. 25 al. 1 DPMin
«Est passible d’une privation de liberté d’un jour à un an le mineur qui a commis un crime ou un délit s’il avait quinze ans le jour où il l’a commis.» Dans notre exemple, il apparaît donc déjà problématique d’avoir prononcé à l’encontre de Julien (14 ans) et de Bruno (14 ans et demi) une mesure de contrainte qui ne pourrait pas leur être imposée à titre de sanction pénale.

2. Convention relative aux droits de l’enfant et Constitution fédérale
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE), ratifiée par la Suisse en 1997, constitue un instrument fondamental, y compris pour la justice des mineurs. L’art. 37 lit. b CDE impose aux États parties l’obligation de veiller à ce qu’aucun enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. Toute forme de détention «doit être en conformité avec la loi […] une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible».

Le Modèle de loi sur la justice des mineurs élaboré en 1997 par les Nations Unies, qui constitue un guide (non impératif) auquel les États doivent être attentifs dans la mise en place de la justice des mineurs, prescrit que la détention avant jugement ne doit pas concerner les mineurs en dessous de 15 ans (art. 3.2.-12).5

L’art. 31 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst. féd.) rappelle également que «nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle prescrit».

3. Renvoi au Code de procédure pénale suisse
La nouvelle loi fédérale sur la procédure pénale applicable aux mineurs renvoie (art. 3 al. 1 PPMin), pour tous les sujets qu’elle ne traite pas explicitement, au code de procédure pénale suisse (CPP).

En ce qui concerne la détention avant jugement, l’art. 212 al. 3 CPP6 est donc applicable au droit pénal des mineurs. Ce dernier exige de la justice pénale qu’elle mette en relation la durée de la détention provisoire et la durée de la peine privative de liberté prévisible, la première ne pouvant excéder la seconde. Ainsi, en application de l’art. 212 al. 3 CPP, un mineur qui n’est pas âgé de 15 ans révolus ne peut pas faire l’objet d’une détention avant jugement, puisque selon l’art. 25 DPMin, seul un mineur de plus de 15 ans révolus est passible d’une peine privative de liberté.7


IV. Et la détention avant jugement de mineurs de moins de 15 ans?
1. Selon le droit en vigueur jusqu’à fin 2010
La réponse à cette question est négative, pour les trois raisons suivantes:
1) la mise en détention provisoire de mineurs de moins de quinze ans va à l’encontre de l’esprit des art. 31 al. 1 Cst. féd. et 37 lit. b CDE.
2) Une telle mesure est contraire à l’esprit général du droit pénal des mineurs qui fait primer la protection et l’éducation des mineurs sur la contrainte et la répression8.
3) Elle est aussi contraire à la lettre de l’art. 25 DPMin. Celui-ci ne prévoit la peine privative de liberté que pour les mineurs âgés de 15 ans révolus le jour de l’infraction. A maiore minus, si une privation de liberté n’est pas légale sous la forme d’une peine, elle ne l’est pas non plus comme mesure de contrainte avant jugement.

2. Selon le droit en vigueur depuis 2011
La réponse est également négative et des raisons supplémentaires s’ajoutent désormais à celles qui étaient déjà valables sous l’ancien droit. En particulier, l’art. 4 PPMin rappelle non seulement (al. 1) que la «protection et l’éducation du mineur sont déterminantes» dans la poursuite et le jugement des infractions commises par des mineurs, mais également que «L’âge et le degré de développement du mineur doivent être pris en compte de manière appropriée».

La PPMin renvoyant au CPP lorsqu’elle n’a pas édicté de disposition spéciale, l’art. 212 al. 3 CPP s’applique au cas de Julien et Bruno. Cet article instaure le principe du parallélisme entre la durée de la peine prévisible et la durée de la détention avant jugement9.

Comme la condamnation à une peine privative de liberté est interdite par l’art. 25 DPMin à l’égard de mineurs de 15 ans, il en découle que le placement en détention avant jugement de Julien et Bruno doit être désormais clairement prohibé. L’art. 212 al. 3 CPP a donc pour effet de renforcer la portée de l’art. 25 DPMin et apporte un motif solide pour qualifier d’illégale la mise en détention provisoire de Julien et de Bruno, qui n’avaient pas 15 ans au moment de la commission des actes délictueux.


V. Conclusion
Le placement en détention avant jugement de mineurs âgés de moins de 15 ans est désormais absolument illégal en Suisse. Une telle mesure de contrainte est non seulement contraire à l’esprit de la Cst. féd., de la CDE et du DPMin, mais elle viole en outre le droit fédéral, car elle enfreint les art. 25 DPMin en lien avec l’art. 212 al. 3 CPP.

Il est toutefois très regrettable que la PPMin elle-même n’ait pas expressément réglé la question. En effet, le législateur aurait dû saisir l’occasion de l’unification de la procédure pénale des mineurs pour combler la lacune du droit antérieur à 2011. A l’art. 27 PPMin, il aurait été très judicieux de fixer le seuil de la détention avant jugement à 15 ans révolus10. Or, ni les messages du Gouvernement11, ni les délibérations du Parlement ne contiennent le moindre mot au sujet de cette limite d’âge impérative de 15 ans pour le prononcé de toute forme de détention des mineurs: nous critiquons vivement ce silence «assourdissant» du législateur sur ce sujet important. Cette situation est d’autant plus problématique que des juges des mineurs romands invoquent régulièrement le cas des enfants gitans, appréhendés pour vols ou cambriolages. Face à cette délinquance souvent pilotée par des adultes, il serait indispensable, selon ces juges, de recourir à la détention avant jugement pour les besoins de l’instruction, l’expertise de l’âge des prévenus, les risques de fuite et de récidive, ainsi que in fine des motifs de prévention générale (but de dissuasion).












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